Comment permettre aux habitants de participer à l’aménagement de leurs quartiers et lieux de vie ? Dans quel but ? Ces préoccupations auxquelles nous sommes très attachés sont au cœur de nombreux débats et projets à travers le monde. A Taïwan nous avons eu la chance de participer à différentes actions de participation citoyenne dont certaines utilisaient l’outil numérique Unlimited Cities. Dans ce premier article nous vous présentons la démarche ainsi que notre participation à des ateliers qui se sont déroulés durant l’été 2018 à Hsinchu. Par la suite, nous reviendrons sur des projets plus récents ayant pris place dans d’autres quartiers de Taipei.
Un outil numérique pour favoriser l’intelligence collective
Unlimited Cities est une démarche d’urbanisme collaboratif dont l’un des objectifs principal est de permettre à n’importe qui de contribuer aux processus de mutation des villes. La démarche est relativement simple à comprendre. Une application web à ouvrir idéalement sur tablette permet aux utilisateurs d’esquisser le futur de lieux à n’importe quelle échelle : rue, place, quartier, etc. A partir d’une photo, il suffit de faire glisser différents éléments et textures présents dans la base de données de l’application et de les ajuster au besoin. L’utilisateur réalise ainsi des mixs qui seront publiés en accès libre sur internet. Il peut ensuite laisser un court message pour insister ou non sur ce qui lui semble essentiel.
Utilisé dans une démarche de concertation, cet outil permet de structurer le dialogue entre professionnels, habitants et collectivités. Les échanges peuvent par exemple s’ouvrir sur la prise en compte des usages des lieux ou des habitudes locales. Ces notions et éléments sensibles sont difficilement perceptibles depuis un bureau. La démarche permet ainsi de compléter le traditionnel travail d’analyses statistiques, cartographiques ou conceptuelles qui peut apparaître parfois comme trop déconnectées des réalités du quotidien.
L’hyper-réalisme de l’application est selon nous l’une de ses plus grande qualité. Les résultats obtenus ne seront bien entendus pas du niveau d’un travail de graphiste professionnel. Par contre les mixs ont un mérite bien différent. Tout d’abord, leur réalisation est très simple et ceux quelque soit l’utilisateur. Cela rend l’usage accessible à tous. Ensuite, l’usage de photos permet une projection mentale aisée, et cela, dans un environnement concret. L’impact des réalisations est d’autant renforcée lors d’un déploiement directement sur le terrain. Cela permet de créer un climat de confiance et de simplifier les échanges positivement. Ce qui n’est, avouons le, pas toujours évident. En outre, le jargon professionnel ou administratif est parfois si complexe qu’il arrive qu’il soit mal-maîtrisé par les professionnels eux-mêmes. De plus, la réflexion n’est pas figée sur un plan fixe mais qu’elle s’inscrit dans un environnement observé à 360 degrès. On évite aussi tout décalage entre certaines superbes réalisations de graphistes trop flatteuses par rapport aux réels aménagements. De plus, les différents mixs sont visibles en ligne permettant à tout le monde de consulter les résultats. Enfin, ajoutons que l’application ne nécessite aucun téléchargement et qu’elle ne récolte pas vos données personnelles…
Toujours dans le cadre d’un déploiement in situ, les différents médiateurs de l’événement et les porteurs du projet peuvent être à la fois acteurs et observateurs. Ils doivent être capables de parler simplement de la démarche et de la rendre compréhensible aux participants. Ceci impose un travail de synthèse difficile mais qui fait du bien face à des études parfois illisibles du fait de leur épaisseur… Les professionnels présents peuvent ouvrir la discussion sur des sujets parfois imperceptibles ou techniques qui ne sont pas envisagés par les participants. Enfin, la démarche leur permet d’observer et d’écouter ce qui permet d’enrichir les travaux. Cette étape est importante afin d’améliorer la créativité des projets urbains et d’adapter les réponses techniques aux spécificités des lieux.
Prenons la problématique des inondations pour comprendre le rôle que peuvent avoir les différents acteurs. Si les inondations ne sont visibles que ponctuellement, elles sont pourtant un aléa à gérer quotidiennement. Les habitants peuvent faire part de leur regard et avis sur l’évolution de la situation ou sur des contraintes plus ou moins quotidiennes. Les savoirs détenus par des habitants peuvent aussi révéler des détails imperceptibles. Le professionnel peut quant à lui amener des réflexions techniques ou méthodologiques plus poussées. Les représentants de collectivité, qu’ils soient initiateurs ou non du projet ont aussi leur place. Ils peuvent être à l’écoute et mieux connaître les attentes locales et les problématiques du territoire. Ils pourront aussi communiquer sur les actions qu’ils ont engagé. Chaque partie impliquée dans le projet peut donc trouver un intérêt dans ces échanges servant à penser collectivement les territoires.
L’ONG 7 Milliards d’Urbanistes : donner à chaque habitant du monde la possibilité de participer à la construction et l’amélioration de sa ville
Unlimited Cities a été conçue par l’agence Urban Fabric Organisation (UFO) et l’agence d’architecture HOST. Selon l’un des fondateurs d’UFO, l’architecte Alain Renk, la démarche d’Unlimited Cities repose avant tout sur le partage de la connaissance, des usages et de l’intelligence collective dans le but d’envisager des modes de vie moins standardisés et des projets urbains plus créatifs.
Les démarches de planification urbaine ou les projets architecturaux peuvent se décliner en un grand nombre de méthodologies différentes. Selon nous, un projet se définit avant tout par les acteurs qui y participent et par leurs capacités d’actions. Vous êtes peut-être déjà sensibles à différentes notions employées pour qualifier les démarches de projets. Le top-down, fait référence à une prise de décisions de la collectivité ou de professionnels. Dans cette approche, les habitants ne sont généralement que peu consultés. Une critique de ce modèle est que les projets peuvent avoir l’air d’être sortis de nul part et de ce fait difficilement acceptés. A l’inverse, des approches dites bottom-up défendent l’importance des habitants dans la prise de décision. Au contraire, il peut être reproché à ces approches le manque de bagage technique, de compétence professionnelle des habitants ou de n’avoir qu’une vision trop « court-termiste ». Ces approches reposent toutes deux sur une logique verticale dans la répartition des rôles des acteurs du projet. Ceci peut impliquer une certaine forme de conflit au moment de la décision.
Les projets d’urbanisme collaboratif nécessitent une grande agilité dans les méthodes de participation et une inventivité des outils à déployer. L’intérêt de la démarche Unlimited Cities réside selon nous dans une répartition horizontale de la créativité et de la prise de parole. L’idée n’est pas tant de redéfinir les pouvoirs de décision mais bien de renforcer les pratiques collectives et les interactions entre professionnels, gouvernements locaux et citoyens.
Ajoutons à cela que les projets peuvent être portés par une grande variété d’acteurs. L’application Unlimited Cities DIY est aujourd’hui diffusée en Open source par l’ONG 7 milliards d’urbanistes. Cette dernière met à disposition l’outil à toute collectivité, université, association ou professionnels souhaitant l’utiliser. Elle n’est donc pas uniquement destiné à un profil d’acteur ou de professionnel.
Hormis d’autres fonctions de conseils, assistance, réseaux, recherche et formation notamment sur des projets d’urbanisme collaboratif, l’ONG accompagne aussi l’évolution de l’application pour l’adapter aux réalités des terrains. Concernant son utilisation dans le monde, l’application a été ou sera bientôt déployée dans plusieurs pays : France, Chine, Taïwan, Belgique, Danemark, Finlande, Equateur… Les terrains d’utilisations sont donc différents et il faut noter que les temporalités et échelles de déploiement sont variées.
Première expérience du terrain Taïwanais à Hsinchu : rencontres, ateliers et discussions
Cet été, nous avons participé à une série d’ateliers dans un parc de Hsinchu (新竹). L’association taïwanaise Our Green Map (錄點點點點) était en charge de la gestion des événements. Nous avons été invité pour animer une démarche d’urbanisme collaboratif et ouvrir les discussions sur l’évolution du quartier. Installés parmi différents ateliers, nous avons eu l’occasion de tester une première fois « Unlimited Cities ».
Nous nous sommes retrouvés dans un parc au sein d’un quartier marqué par de nombreux projets immobiliers en cours de construction. De ces ensembles de logements découlent des formes urbaines qui modifient le visage du quartier. Des tours hautes remplacent progressivement quelques îlots denses et compacts. Les rues s’élargissent. Les devantures de magasins qui donnaient sur l’espace public sont remplacés par des grands halls luxueux. Ce phénomène est observable dans de nombreuses villes de Taïwan. Cela pose des questions qui nous intéressent beaucoup : est-ce que ces modifications des quartiers ont un impact sur les usages et les pratiques des habitants ? Comment le vivent-ils ?
Pour l’anecdote, le parc dans lequel nous avons été invité à prendre place était à l’origine destiné à accueillir l’un de ces ensembles immobiliers modernes. Le projet a été avorté à cause d’histoires de corruption. Un parc fut alors aménagé à la place. C’est dans cet espace public que des ateliers ont été organisés tous les dimanches de juillet/août, allant de la construction de mobiliers urbains et de stands mobiles en bois, de créations artistiques, et de repas conviviaux. Par le biais d’événements de ce genre, la ville de Hsinchu cherche à faire ce qui est qualifié en anglais de « community empowerment ». Comprenons par là que l’objectif recherché est une appropriation des lieux de vie par les communautés locales.
Comme il s’agissait aussi pour nous de notre première utilisation, nous voulions tester l’apport réel du numérique. La concertation peut être imaginée sans recours à des tablettes. Ainsi, nous avons mêlé l’usage de l’application à une approche manuelle à l’aide d’images imprimées et de collages.
Facilité d’échanges et compréhension
L’expérience fut courte mais constructive. Tout d’abord, disons le simplement : à cette époque notre maîtrise du mandarin était plus qu’approximative. Nous avons déjà connu des situations similaires, notamment parce que nous avions travaillé au Vietnam il y a plusieurs années sans maîtriser la langue locale. Mais nous avions beaucoup plus de temps. A Hsinchu, l’aspect éphémère de l’événement ne nous offrait qu’un temps très réduit. Cependant, la facilité d’utilisation d’Unlimited Cities nous a permis de dialoguer en douceur et de faciliter la compréhension avec des participants un peu surpris. Nous avons pu aller à l’essentiel et parler de choses simples et concrètes. Les profils des personnes s’étant arrêtées pour tester l’application furent très variés : familles, jeunes enfants, personnes âgées, passants curieux…
Nous étions quelque part une sorte de curiosité dans ces ateliers principalement tournés vers l’échange, la rencontre, la convivialité ou encore la création manuelle. Malgré un aspect curiosité ou gadget, notre présence a permis d’ouvrir le dialogue sur des thématiques qui n’auraient peut-être pas été abordées aussi clairement. Certains participants nous ont exprimé leur volonté de participer au développement de leur quartier ou de partager leur opinion. L’application a reçu un retour très favorable.
Par ailleurs, l’usage du numérique a prouvé son intérêt. Les ateliers créatifs et manuels que nous avions préparés étaient souvent pris de manière plus légère, voir plutôt réservés aux enfants. L’application était abordée plus sérieusement et plus soigneusement. Le fait de charger en direct les mixs réalisés en ligne et de les regrouper dans une galerie d’image permettait de confronter les points de vue en fin de journée.
L’importance d’un processus à long terme
Nous avons pu tirer plusieurs enseignements positifs et négatifs de l’expérience de Hsinchu. Premièrement, nous avons été impressionné par le travail d’Our Green Map. Les différents ateliers étaient d’une grande qualité. Ils ont contribué à instaurer une ambiance familiale et agréable. Ceci a selon nous beaucoup permis à ce que les participants soient à l’aise pour parler développement urbain. Ce thème parfois abordé trop frontalement peut paraître très ennuyeux ou trop vaste.
Néanmoins, un point négatif à notre participation fut justement le manque de visibilité sur un projet s’inscrivant dans un temps plus long. Plusieurs participants nous ont fait part de leur incompréhension quant à la suite qui serait donnée à leur avis ou à leurs possibilités d’actions dans le quartier. Ainsi, d’un point de vue pratique et ponctuel, l’expérience Unlimited Cities fut selon nous une vraie réussite. Cependant, notre intervention a plutôt pris la forme d’une démarche de sensibilisation du fait de son aspect éphémère. C’est déjà une certaine fierté pour nous, mais nous restons un peu sur notre faim.
Unlimited cities Taiwan : vers des suivis post-concertation ?
Suite à notre participation aux dimanches de Hsinchu, nous avons été contactés par différentes compagnies taïwanaises pour d’autres collaborations. Nous avons ainsi pu participer à deux projets dans le quartier de Wenshan à Taipei. Avant de retrouver nos prochains articles retraçant les autres démarches, vous pouvez consulter l’application en ligne mise en place pour le projet « Wenshan Oasis ».Cette démarche de concertation sur le développement du quartier a été initiée par la ville de Taipei et est animée depuis plusieurs années par la compagnie Taïwanaise Collaborative O. Vous pouvez aussi vous intéresser à l’événement qui s’est déroulé le 12 janvier avec la compagnie Wisdomfun dans le secteur de Muzha. Les informations sont à retrouver sur leur page Facebook.
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